4.5. – Quels critères de publication des photos / de diffusion des images tournées ?

Le droit à l’image est très complexe, tiraillé entre le droit à la vie privée et le droit à l’information, il produit des jurisprudences toujours plus fournies, largement inspirées par les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il est toutefois très difficile de trouver des dénominateurs communs à chaque membre de l’Union. La plupart des pays européens disposent d’une législation peu contraignante, à l’exception de la Belgique et de l’Allemagne qui protègent davantage les victimes des atteintes à leur image.

France

La loi française ne sanctionne que le fait de photographier quelqu’un en portant atteinte à sa vie privée. Il est reconnu que les lois françaises encadrant la publication des photos de presse sont peu nombreuses et peu spécifiques. Elles reposent avant tout sur les principes généraux de « respect de la dignité de la personne » et de la « protection de la vie privée ».

Le droit à l’image n’existe donc pas en tant que tel et il revient à la personne qui conteste la publication d’une photo où elle apparaît, de prouver devant la justice le tort subi.

Le corpus jurisprudentiel sur cette question est en conséquence fondé sur l’appréciation de « l’information » qui est apportée par la diffusion/publication d’une image.

Reste qu’il est – a priori – interdit de publier la photo de zones militaires, de personnes menottées ou de mineurs impliqués dans des affaires de justice… (cf Droit à l’image, droit de l’image, Philippe Gauvin, CNDP, 2010).

Brésil

Il n’existe aucune législation particulière brésilienne. En cachant le visage des mineurs par des bandes transparentes ou noires, les médias de presse suivent simplement la loi générale sur le statut des enfants et des adolescents.

Belgique

Deux articles du code pénal belge interdisent toute reproduction de photos ou d’images de certaines catégories de personnes.

L’article 378bis interdit toute identification de victimes de crimes sexuels, hormis le cas où la victime en a donné la permission par écrit ou à condition que le procureur du roi en ait donné la permission dans un but de recherche pénale.

L’article 433bis interdit toute identification d’un mineur qui a commis un crime ou envers lequel le juge de la jeunesse a pris une mesure (pas uniquement pénale, mais aussi civile, par exemple un placement dans une famille ou une institution).

Les manquement à ces deux articles sont punissables de deux mois à deux ans de prison, ou d’une amende de 300 à 3.000 euros.

Le conseil de presse flamand (Raad voor de Journalistiek) en septembre 2010 a d’ailleurs insisté sur le fait que la non-identification de ces deux catégories de personnes n’est pas uniquement une obligation légale mais aussi un devoir déontologique.

Espagne

La loi espagnole ne stipule aucune règle sur la diffusion de photos ou d’images. Elle rappelle seulement le nécessaire respect de la présomption d’innocence. Toute utilisation d’image reste à la discrétion du journaliste qui, se référant aux différents codes et chartes de la profession, décidera en conscience de ses choix. Ces dernières années, les médias ont porté une attention particulière à l’image des enfants : en cas de publication, les visages sont généralement floutés pour préserver leur identité.

Royaume-Uni

Il n’existe aucune loi britannique sur le droit à l’image. Toutefois, les personnes qui se considèrent victimes d’une atteinte à leur image disposent de l’action en diffamation (defamation) et de l’action en « violation de secret » (breach of confidence) pour tenter de se défendre.

Allemagne

Il semble que la naissance du « droit à l’image » remonte à une loi allemande de 1907 relative au droit d’auteur sur les arts figuratifs et la photographie.

C’est la publication sans autorisation d’une photo de Bismarck sur son lit de mort qui aurait été le prétexte à la protection juridique autonome de l’image.

En droit allemand contemporain, l’exercice du droit à l’image relève de la responsabilité civile. Le juge s’applique à concilier ce droit avec la liberté de l’information. A la lecture de la jurisprudence, il est possible de distinguer trois hypothèses où s’exerce le droit à l’image. Premièrement, il s’agit de l’hypothèse où la personne photographiée est par nature une personne publique, et dont la vie et l’image appartiennent à l’histoire contemporaine. Les personnes victimes d’une atteinte à leur image ne disposent d’aucun recours. Deuxièmement, il s’agit du cas des personnes « publiques par accident », qui peuvent susciter l’intérêt du public pour une courte période. Enfin, la dernière hypothèse vise les personnes privées dont la protection de l’image est absolue (cf mémoire anonyme).

Réponses complètes

Allemagne

Berliner Zeitung : La loi et le code de la presse

Les critères de publication de photos sont les mêmes que pour le traitement des faits divers. Ils sont définis par la loi (relative aux droits des personnes) ainsi que par le code de la presse allemande (relatif au respect de la dignité des personnes victimes d’un crime, etc.).

En cas de litige, c’est également lors de la conférence de rédaction que le problème sera débattu, et en dernière instance, la rédactrice en chef prendra la décision.

Si des photos fournies par des agences de presse semblent douteuses (par exemple, des images de la guerre en Syrie dont il est impossible de vérifier la provenance ou les conditions de production), la légende en informera le public.

ZDF : Selon la loi

Belgique

De Standaard : L’enjeu de l’équilibre

D’une part, il existe les critères légaux, que le journal respecte.

D’autre part, le quotidien recherche systématiquement un équilibre intelligent entre « le devoir d’informer » et celui de « ne pas choquer gratuitement ». Les discussions sont régulières entre le rédacteur en chef et le responsable photo pour décider de la parution ou non d’une image.

A la diffusion de certains clichés, des critiques de lecteurs peuvent s’exprimer, comme par exemple: « c’est insupportable à regarder pour les enfants ». Le médiateur peut alors répondre que « De Standaard ne s’adresse pas aux enfants. » Pour informer sur l’horreur, il faut parfois la montrer. Mais pas systématiquement, en prenant des précautions et surtout en choisissant les « meilleures photos », c’est-à-dire les plus pertinentes pour l’information.

De façon plus courante, les réflexions portent aussi sur le respect de la vie privée, par exemple dans les illustrations qui montrent des personnes dans des lieux public qui ne sont pas nécessairement impliquées dans l’histoire racontée. C’est un travail difficile et délicat dont la responsabilité est collectivement partagée par les membres de la hiérarchie.

La Libre Belgique : Variables

Pas de vérité absolue sur la question, les décisions se prennent au cas par cas. « Pour aborder la sécheresse en Afrique vaut-il mieux montrer une femme et son enfant en train de mourir de soif ou un homme marchant sur un sol craquelé par la sécheresse ? Un média ne doit-il pas réveiller parfois les consciences? Faut-il refuser le risque de choquer le lectorat ? Les discussions reviennent sans cesse. La rédaction pense que l’essentiel est de ne pas le faire de façon gratuite mais d’une façon qui soit légitime par rapport à la portée de l’événement. »

Le quotidien bannit les photomontages et autorisent les recadrages mais pas les retouches.

Le Soir : Informels

La culture de l’image inhérente à un « journal de référence et de qualité » est entretenue par le responsable photo du journal.

Pas de retouche autre que technique, pas de photomontage.

Les débats réguliers sont tranchés sans règle écrite mais au cas par cas.

RTBF : La retenue

Les images fortes doivent pouvoir être diffusées si elles sont utiles en termes d’information, avec retenue toutefois : en floutant les cadavres et sans s’attarder sur les images de blessures.

Le spectateur est prévenu avant la diffusion d’une séquence particulièrement pénible.

Brésil

A Folha de S. Paulo : L’intérêt journalistique prime

Seules les images revêtant une importance journalistique sont publiées.

Cruzeiro do sul : Sans retouche

Aucune retouche ni trucage photographique n’est admis.

O Estado de S. Paulo : Retouches interdites

Aucune retouche n’est autorisée.

Rádio CBN : Sans objet (Radio)

TV Cultura : Attention particulière aux enfants

Une attention particulière à l’égard des enfants nécessiteux dont l’anonymat est protégé par un carré noir sur les yeux lorsqu’ils apparaissent au JT.

L’orientation générale consiste à ne pas surenchérir et à ne pas entrer en compétition avec les télévisions commerciales.

TV TEM : Aucune retouche

La chaîne ne diffuse des images que lorsqu’elles sont envoyées par des téléspectateurs qui ont enregistré des scènes du quotidien. Ces photos ou images sont alors toujours dûment créditées et ne sont jamais retouchées. La chaîne s’autorise seulement éventuellement à n’en diffuser que des extraits lorsque les films sont trop longs.

Espagne

El País : L’information avant tout

La règle pour publier une photo est qu’elle soit informative. En règle générale, El País évite de publier des images de « mauvais goût » ou « excessivement crues » mais, en certaines occasions, elles sont utilisées pour leur valeur de témoignage et leur caractère dénonciateur.

Sur les photos, les visages des policiers en service sont cachés pour ne pas faciliter leur identification par les groupes terroristes.

La Vanguardia : Très partiels

Le Livre de style interdit la publication de photos de mineurs et de celles qui sont trop crues ou mises en scène. Les photos de nus sont ainsi implicitement autorisées.

Le Livre de style interdit la manipulation des images : « tout ce qui suppose une distorsion de la réalité existante devant l’objectif au moment de prendre la photographie est éthiquement blâmable » (article 6.2.4).

Rádio Barcelona - Cadena SER : Selon la charte catalane

Radio Barcelona n’utilise des photos que sur son site internet. Elles sont alors publiées selon les critères de la charte régionale de Catalogne rédigée par le Collège des journalistes à laquelle se réfère la station.

RNE : Sans objet (Radio)

TVE : Respect des obligations d’un service public

TVE est une télévision de service public régie par des critères basés sur la protection de tout type de droits et s’interdisant tout contenu dégradant tel que scandales, violences, pornographies, etc.

France

Europe 1 : NC

France 2 : Respect de la personne humaine

La source doit être connue, vérifiée et crédible.

Les images doivent respecter la personne humaine et sa dignité, le droit à l’image et le droit à la vie privée.

France 24 : En fonction des pays de diffusion

Chaque cas est particulier. Il est arrivé que la direction de la chaîne refuse des images en raison de leur violence.

D’autre part, des images relativement courantes sur les canaux francophone et anglophone peuvent être choquantes dans le contexte arabophone. Sur le site web, les images proviennent en majorité de l’Agence France Presse. France 24 n’utilise pas les « Google Images » à moins de remonter jusqu’à la source.

France 24 s’autorise à redimensionner le poids d’une image mais pas à la recadrer ; à extraire une image d’une vidéo mais pas à la retoucher.

Les photomontages sont prohibés sauf pour accoler deux personnages dans un même cadre.

France Inter : Application de la loi

Sur les sites d’informations des différentes radios du groupe, les équipes web appliquent strictement les règles légales en usage en France pour la publication des images.

La Croix : L’impératif respect de la dignité

Le responsable du service est très à cheval sur les questions éthiques liées à l’image. Le respect de la dignité des personnes fait directement écho aux valeurs du journal.

Donc pas de corps mort, pas de profonde détresse, rien qui pourrait être taxé de voyeurisme.

Les éventuels recadrages se font avec beaucoup de précautions.

La Dépêche du Midi : Selon les exigences techniques

Les retouches sont interdites, sauf pour des questions techniques.

La Montagne : Très sélectifs

Aucune photo ni image vidéo montrant un corps ensanglanté n’est publiée ni diffusée. Aucun montage ni « bidouillage » (une image retournée pour des raisons esthétiques) n’est accepté.

La Nouvelle République : Interdiction des photomontages

Le visage d’une personne peut être éventuellement flouté si elle ne doit pas être reconnue, mais la scène générale doit garder un intérêt informatif.

La Provence : Ne pas dénaturer

Plusieurs débats ont eu lieu au moment du passage au numérique. Le principe actuel est l’interdiction totale de publier une photo retouchée sauf lorsque la retouche n’en dénature pas le sens.

Les montages photos sont également proscrits. Des photos mises en scène sont parfois publiées dans le journal mais le lecteur en est alors averti.

La Voix du Nord : Selon la culture d’entreprise

Pas de règles écrites mais une forte « culture maison » dans le traitement de l’image. Le voyeurisme est banni, pas de cadavre, pas de sang. Pas de retouche mais l’étalonnage est toujours possible.

Les photomontages sont réalisées par des graphistes, avec l’aval de l’auteur de la photo.

Les photographes gèrent de façon individuelle les aléas du terrain, en fonction du contexte : floutage de policier/gendarme en tenue, en civil…

Le Figaro : Des règles strictes maintenant

Les règles sont devenues plus claires et ont été publiquement annoncées après la polémique créée par la « suppression » d’une bague de grande valeur au doigt d’une ministre de la justice.

Il est dorénavant explicite que les retouches et les montages sont interdits au Figaro. Les recadrages techniques restent autorisés s’ils n’influent en rien sur le contenu informatif de la photo.

Le Monde : Rien de formel

Le journal ne dispose pas de photographes en interne.

Les retouches sont toutefois interdites.

Le Parisien/Aujourd’hui en France : Selon la loi

Une seule règle, là encore : respecter le droit à l’image en matière de diffusion de photos et de vidéos. Aucune retouche photos.

Le Progrès : Des précautions

Les critères sont assez stricts : pas de retouche, pas de photo montage et des recadrages maniés avec beaucoup de précaution pour ne pas dénaturer l’information de la photo.

Libération : Pédagogie et refus du sensationalisme

La valeur pédagogique d’une photo peut être un critère déterminant dans le choix de sa publication. Cependant l’intérêt d’une photo mis en balance avec un risque de sensationnalisme peut l’exclure de la parution.

Ouest France : Dignité de la personne avant tout

Ouest-France, au-delà des exigences de la loi, s’interdit la publication de toute photo d’une personne en situation humiliante ou dégradante, pour rester en harmonie avec les valeurs défendues par le journal.

RTL : Sans objet (Radio)

Sud Ouest : Un arbitrage au cas par cas

La charte n’interdit aucun contenu mais prône le cas par cas. Elle précise toutefois qu’un recadrage peut être autorisé si le secrétaire de rédaction, le journaliste et le photographe le valident. Elle précise également que les photomontages ne sont possibles que s’ils ne portent pas atteinte à la dignité de la personne concernée, et s’ils ne donnent pas une fausse information. Ils doivent être annoncés.

Sud Radio : A l’appréciation du webmaster

Le site internet de Sud Radio tient lieu uniquement de vitrine (calendrier des rendez-vous, podcast des émissions, etc.). Des photos des journalistes au travail sont également mises en ligne sur la page Facebook Sud Radio, dont le contenu est surveillé par un webmaster.

TF1 : Pas de violence gratuite

La direction de la rédaction a pour principe d’éviter les images violentes gratuites. Un sujet pénible est annoncé par la mention « Certaines images peuvent choquer ».

Les images sont toujours sourcées mais jamais retravaillées, sauf pour ajouter des infographies.

Irlande

The Irish Times : La « culture maison »

Retouches interdites, photo-montage proscrit… hormis quelques règles très clairement exprimées, l’Irish Times reconnaît l’importance de la culture maison en refusant le scandale, en évitant les images de cadavres ou de sang.

Ici les échanges évitent les prises de décision systématiques. Chaque image délicate fait l’objet de discussions et de prises de décision collégiales sur la diffusion ou non d’une photo.

Pologne

Polskie Radio, kanal 3 : Non pertinent

Royaume-Uni

BBC : En fonction de la sensibilité du public

La BBC réunit tous les deux ou trois ans des panels de spectateurs pour explorer leur niveau de tolérance à la violence selon le type de programmes et les horaires de diffusion. Ainsi, le public de la BBC montre une meilleure tolérance à la violence dans un documentaire qu’au journal télévisé.

Des infographies peuvent être insérées dans les images mais elles sont reconnaissables en tant que telles.

The Guardian : Pas de voyeurisme

Le journal cherche à respecter la dignité des individus et à éviter le voyeurisme. Les images utiles pour raconter une histoire considérée comme importante seront toutefois publiées.

The Guardian montre des photos de personnes menottées.

Le journal s’autorise le type de retouches qui peut être réalisé dans une chambre noire classique. Il est possible de retravailler la lumière mais pas de rajouter une personne dans l’image.

Suisse

La Liberté : Retouches interdites

Les retouches sont formellement interdites depuis le passage au numérique.

Les critères de publication sont liés aux valeurs définies par la charte. La Liberté, au nom du respect de la dignité humaine, ne publie ainsi jamais de photos dégradantes ou des photos de cadavres.

D’autre part dans les affaires de justice, les prévenus sont toujours floutés.

Le Temps : Des légendes informatives

Le service iconographie autorise des recadrages mais à doses homéopathiques. Les parties magazine du journal peuvent inclure un photo-montage mais il est alors toujours désigné comme tel.

A noter que la légende de chaque photo indique la date et le lieu de la prise de vue.

Les critères de publication des photos ne font pas l’objet d’une bible écrite mais la culture du journal est connue et partagée par les collaborateurs.

RTS : La prudence

La diffusion du journal du soir à 19h30 dans un environnement familial implique que la RTS soit plutôt restrictive en termes d’images fortes. Le cas échéant, elles sont annoncées. Il s’agit de rester dans l’acception la plus traditionnelle du service public.

Les images peuvent être recadrées et retravaillées au montage si le sens n’en est pas modifié.