Archives 2011

4.4. – Quel traitement du fait divers ?

Les journalistes doivent, dans un premier temps, respecter la loi et les textes normatifs.

La Convention Européenne des Droits de l’Homme dans son article 6-2 spécifie que : « toute personne accusée d’une infraction a le droit d’être présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». L’article 8 protège le droit de tout citoyen au respect de sa vie privée. Il énonce que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

La législation de chaque pays décline ensuite pour la presse ces notions de respect de la présomption d’innocence et de vie privée mais aussi de respect du statut des mineurs…

De plus, certaines rédactions se sont dotées d’un code de conduite ou de règles spécifiques formalisées pour traiter ce que la presse française nomme « les faits divers ».

Les pratiques des journalistes travaillant pour le même titre sont ainsi normalisées.

En Belgique, la fondation du roi Baudouin et l’Association des Journalistes Professionnels ont ouvert un site sur le thème des relations entre presse et justice : www.presse-justice.be/home.php?&lang=fr. Ils ont également édité un guide « Presse et Justice » qui poursuit deux objectifs : " mettre à la disposition des journalistes une information de base sur notre système judiciaire et présenter les principes déontologiques en vigueur et les règles légales à respecter dans l’accès aux sources et le traitement des informations liées à l’actualité judiciaire. »

Le Conseil suisse de la presse a émis dans ces dernières directives (sans valeur contraignante) un certain nombre de règles pour traiter les « faits divers » : www.presserat.ch/Documents/directives09.pdf

En Espagne la présomption d’innocence est une garantie constitutionnelle. La loi qui régit le droit à l’honneur, à l’intimité familiale et personnelle ou le droit à l’image date de 1982. Mais la justice agit souvent au cas par cas,selon une jurisprudence fournie.

Le code de déontologie - « Principes généraux » - du principal syndicat de journalistes (www.fape.es) donne quelques précisions supplémentaires en encourageant par exemple les professionnels à « s’abstenir d’interviewer, de photographier ou de filmer des mineurs dans le cadre de délits ou dans un cadre privé.»

En l’absence de législation brésilienne sur le traitement des faits divers, la tendance est à la “spectacularisation” et donc à l’abus des images « choc ». Certains - rares - médias se sont dotés de règles mais le plus souvent, c’est bien l’image la plus « vendeuse » qui est publiée.

Il n’existe en Inde aucune loi spécifique sur la presse, donc rien sur le traitement de ce que nous appelons les « faits divers ». En revanche les principes défendus par le conseil de presse font quasiment office de lois.

Réponses complètes

La Libre Belgique : En fonction de l’impact sociétal

Le journal traite peu les faits divers et seulement s’ils sont révélateurs de faits sociétaux ou du fonctionnement de la justice. La rédaction affiche une volonté de mise en perspective et d’exigence comparable à celle qui serait requise pour des sujets politiques ou économiques.

La Libre Belgique ne publie pas de photos « volées » par respect pour la présomption d’innocence et pour ne pas entraver la bonne marche de la justice. Elle ne divulgue jamais les noms des mineurs.

RTBF : En fonction de l’impact sociétal

La RTBF souhaite traiter les faits divers sans sensationnalisme, en prenant la juste mesure de leur impact sur la société. Les journalistes évaluent souvent la situation sur place. La loi qui interdit de nommer avant jugement une personne n’est pas appliquée pour les « personnalités publique ».

Le Soir : Une gestion personnalisée

La tradition informelle est gérée par le chef du département « faits divers ».

Cruzeiro do sul : La dignité de la personne en priorité

Le journal ne se contente pas de respecter la loi mais suit les orientations de l’Association Brésilienne de Presse qui prétend préserver en priorité l’honneur du citoyen.

Le texte sur le « statut de l’Enfance et de l’Adolescence » est fondamental, il impose de préserver les mineurs de situations (ou photos) embarrassantes.

O Estado de S. Paulo : En respectant le travail de la justice

L’orientation générale est de protéger surtout l’identité des mineurs en floutant le visage.

Les informations sont publiées lorsque le fait est considéré comme « consommé » : quand la police fédérale investit un lieu, par exemple. Mais, en revanche, dans un cas de prise d’otage, l’information sera maintenue secrète pour ne pas gêner le travail d’investigation policière.

TV Cultura : Respect des droits humains

TV TEM : Respect des droits humains

TV TEM suit les normes journalistiques de TV GLOBO qui respectent et préservent les droits humains des personnes interviewées : enfants, criminels, les personnes qui souhaitent restées anonymes…

Les suicides ne sont pas signalés et les enlèvements ne sont rendues publiques qu’après leur résolution.

Chaque cas est évidemment particulier, mais en règle générale la chaîne ne montre ni victimes ni accusés ; elle ne divulgue évidemment pas d’adresses ni de photos.

Valor Econômico : Respect des droits humains

Le journal ne publie jamais d’image qui ne respecterait pas la dignité de la personne.

El País : Certaines règles et usages

Les noms complets des personnes en procédure judiciaire peuvent être mentionnés, sauf en cas de risque grave (affaires de terrorisme…) où seules les initiales sont alors utilisées. Les procès sont publics à l’exception de prévenu mineur, dans ce cas seules ses initiales figurent dans l’article.

La présomption d’innocence est respectée.

Público : Des normes internes précises

Le journal s’est doté de normes internes pour le traitement des faits divers, listées dans un document très précis, intitulé « le décalogue des règles ».

Ainsi, par exemple, sur le thème de la violence faite aux femmes : pas de noms ni de photos des victimes ou personnes impliquées, pas de référence à leur religion ou leur origine. Le numéro de téléphone d’aide aux victime est en revanche systématiquement publié et un gros effort sur la précision des faits est revendiqué.

La présomption d’innocence est respectée, ce qui n’interdit pas d’écrire un article sur des actes illicites quand les preuves sont suffisantes. En revanche, il sera à chaque fois précisé que seule la justice a le pouvoir de dire qui est coupable ou innocent.

La Vanguardia : Un livre de style précis

Le livre de style du journal insiste sur le respect de la présomption d’innocence. Les noms ne sont pas révélés, sauf s’il s’agit d’une identité “publique et notoire”. L’information sur les victimes répond également à une norme stricte qui définit quand doit être révélée l’identité et l’usage des initiales en fonction de l’âge, du type de délit et de la gravité du crime. Les parents directs des victimes ou suspects ne sont désignés que par leurs initiales.

Les images de mineurs présentés dans des conduites illégales sont floutées, comme peuvent l’être celles des forces de l’ordre.

De même, pour lutter contre la xénophobie et le racisme, le journal veille au respect des valeurs multiculturelles et multireligieuses, il s’interdit tout amalgame entre émigration et délinquance, comme cela arrive trop fréquemment.

La Croix : Quasiment pas de fait divers

Le quotidien catholique ne traite pas les faits divers. Non par un rejet de principe mais par manque d’intérêt de ses lecteurs.

La Dépêche du Midi : Toujours en débat

La question du traitement harmonisé du fait divers est un débat ancien qui n’est toujours pas tranché. La rédaction continue ainsi de s’interroger sur la publication ou non d’un nom, notamment quand s’il s’agit de celui d’un notable… La réponse dépend de plusieurs critères : la nature du fait divers, l’impact sur la personne, etc.

La gestion du fait divers à La Dépêche du Midi relève largement du cas par cas sans qu’un corpus de règles communes ait été établi.

Le Figaro : Pas de règles formelles

Les prescriptions légales sont respectées, le but étant d’éviter au maximum les procès. L’absence de formalisation est en partie due à la pression du temps. Néanmoins le travail d’équipe permet le plus souvent d’éviter toute entorse aux règles déontologiques (multiples relectures : chef de service, rédacteur en chef, secrétaire de rédaction…).

France 2 : En fonction de son retentissement sociétal

Le fait divers est traité en fonction de son retentissement sociétal et /ou de sa dimension exemplaire. La récurrence d’un fait est ainsi un élément à prendre en compte.

L’ambition didactique du JT de France 2 se traduit par une volonté de donner des clés de compréhension en traitant un sujet de fond en lien direct avec le fait divers.

Dans les textes normatifs de la chaîne, l’accent est mis sur l’importance de reporter les faits de la façon la plus honnête possible.

France 24 : Composer avec toutes les cultures

En tant que chaîne internationale France 24 traite peu les faits divers.

Elle a pourtant diffusé des images de Dominique Strauss-Kahn menotté et donné le nom de Nafissatou Diallo, contrairement aux pratiques en vigueur aux USA. La SDJ a d’ailleurs interpellé la rédaction sur ce point car elle pensait que la chaîne aurait dû respecter les règles anglo-saxonnes.

En ce qui concerne les images violentes, l’existence du CSA oblige à une vigilance préventive.

Libération : Le respect de l’individu

Dans la mesure du possible la vie privée est respectée, notamment lorsqu’il s’agit de mineurs. Les noms, lorsqu’ils peuvent donner lieu à des caricatures (notamment racistes) ne sont pas cités.

Des critères plus classiques sont également pris en compte dans la citation des noms et la publication d’informations concernant l’intéressé : sa notoriété publique, son âge, la gravité des faits reprochés…

Le Monde : Rien de formel

Les noms sont cités dans le respect de la loi.

Lorsqu’une personne est mise en examen, donc toujours sous le coup de la présomption d’innocence, son nom est également imprimé.

Ouest France : Une charte interne pionnière

Ouest-France a été le premier quotidien français à se doter d’une Charte du traitement du fait divers, en 1990.

Depuis lors, la question n’a cessé d’être réactualisée afin de maintenir des pratiques similaires et cohérentes dans les nombreuses rédactions délocalisées, pour éviter les procès et pour rester fidèle aux valeurs du journal.

Le Parisien/Aujourd’hui en France : Au cas par cas

Chaque fait divers a une histoire particulière et plusieurs facteurs seront pris en compte dans son traitement (citation des noms ou place dans le journal) : la notoriété de la personne, la gravité des actes en cause, l’âge des protagonistes…

Aucune règle précise n’est donc édictée et la gestion se fait au cas par cas

Le Progrès : Une pratique de longue date

Historiquement, Le Progrès traite beaucoup les faits divers, les pratiques sont reconnues comme plutôt correctes.

En principe, les noms des personnes condamnées à moins d’un an de prison ne sont pas cités. Mais la tendance générale est plutôt de citer les noms pour davantage « responsabiliser le journaliste qui rédige l’article ».

La question reste gérée de manière assez pragmatique, un certain nombre de facteurs entrant en ligne de compte : le contexte familial, la place de l’individu dans la vie publique, le type d’infraction…

La Provence : Quelques règles informelles

La gestion du fait divers se fait au cas par cas. La Provence a ainsi établi quelques règles informelles comme celle consistant à ne pas citer de nom propre pour les petites infractions.

Sud-Ouest : Vigilance

En cas de sujet sensible, la hiérarchie est prévenue et réagit à plusieurs niveaux de validation : le chef d’agence, le rédacteur en chef adjoint, le rédacteur en chef et le directeur de la publication.

TF1 : En fonction de son exemplarité

TF1 ne traite les faits divers que s’ils sont révélateurs d’un fait sociétal. La rédaction tente d’évaluer cette dimension à la lecture des dépêches et éventuellement au terme d’une pré-enquête.

La Voix du Nord : Un texte de référence

Une charte intitulée « faits divers justice » a été rédigée avec l’aide de juristes en juin 2008.

Mid-day : Peu respectueux

Les noms et photos des personnes mises en cause sont publiées.

La présomption d’innocence est rarement respectée à cause des tendances au sensationnalisme.

Il existe en Inde des lois sur la diffamation, ce qui n’empêche pas la presse de lancer de grandes campagnes contre des gens qui n’ont pas encore été condamnés.

The Hindu : Très peu de règles en Inde

En cas de reportages sur des crimes ou délits, les noms et photographies des personnes impliquées sont publiés.

Bien qu’il existe une loi contre la diffamation, la présomption d’innocence est généralement peu respectée, même si The Hindu fait des efforts pour éviter le sensationnalisme.

BBC : Responsable et contextualisé

La BBC essaie de ne pas donner trop d’importance aux faits divers, ils ne font d’ailleurs jamais l’ouverture d’un journal.

Dans leur traitement, l’accent est mis sur la contextualisation et la mise en perspective.

La BBC est très attentive à ne pas diffuser des images qui pourraient choquer les victimes et leurs familles.

The Guardian : Avec précaution

The Guardian s’intéresse aux histoires qui ont du sens et les traite avec précaution.

Le journal évite ainsi les détails sur les méthodes de suicide.

Il est attentif également à ne pas abuser des termes psychiatriques pour décrire un criminel.

Les journalistes ne harcèlent pas les familles des victimes et ne mettent pas en avant les émotions de celle-ci.

Ils n’interviewent pas de jeune de moins de 16 ans, à moins d’avoir l’autorisation des parents.

La Liberté : Selon les valeurs du journal

La loi fédérale n’est pas très bavarde sur le traitement des faits divers dans la presse. C’est davantage le conseil suisse de la presse qui donne régulièrement des avis et établit les « bonnes ou mauvaises » pratiques.

La Liberté se fonde essentiellement sur la mise en pratique des valeurs revendiquées par le journal.

RTS : La prudence

Les personnes menottées ne sont en principe pas montrées.

Afin de respecter la présomption d’innocence, la diffusion des noms est soumise à des règles strictes : que la personne mise en cause soit considérée comme « publique », que l’acte reproché soit lié à son activité et qu’il en aille de la sauvegarde de l’intérêt public.

En cas d’évasion, la photo d’un criminel dangereux sera diffusée mais aucun nom prononcé, pour protéger la famille.

Le Temps : Exclusivement selon la loi

Il n’y a pas de règles internes formalisées. Les règles juridiques édictées par le droit suisse en matière de citation des noms, de respect du secret de l’instruction et de publication des photos sont respectées.

Par exemple, pour qu’un nom puisse être publié, il est nécessaire qu’un double critère prévu par la loi soit rempli : l’importante notoriété de la personne et l’inculpation dans le cadre de son activité professionnelle.