3.1. – Quel lien entre valeurs du média et contenus publicitaires ?

Comment se fait le lien entre le contenu de la publicité et les valeurs éditoriales du journal ?

Un quotidien qui s’engagerait dans la défense du développement durable accepterait-il par exemple de publier des publicités de compagnies aériennes ou de voyagistes low-cost ?

Quelle est la stratégie adoptée: la cohérence entre les deux services (rédactionnel et marketing) ou au contraire leur totale imperméabilité ?

Ces principes sont-ils formalisés ou non ?

Il s’agit ici de recenser les règles ou usages prévoyant la possibilité de refuser une publicité lorsqu’il est estimé qu’elle entre en conflit avec les valeurs défendues par le journal.

Réponses complètes

Allemagne

Berliner Zeitung : Imperméable

La charte interne du Berliner Zeitung ("Redaktionsstatut“) ainsi que le codex de la presse allemande interdisent tout amalgame entre la publicité et l'éditorial.

Le principe est ici strictement respecté.

ZDF : Pas de lien

La ZDF s’est dotée de directives précises « ZDF-Richtlinien für Werbung, Sponsoring, Gewinnspiele und Produktionshilfe » pour prendre en compte toute sorte d’incompatibilités et de potentielles atteintes à la crédibilité de la programmation, (information comprise).

Belgique

De Standaard : Réfléchi

De Standaard a établi une frontière claire entre l’espace éditorial et la publicité qui ne peut en aucun cas infléchir la politique du contenu journalistique, ni en obtenant qu’un sujet soit traité, ni au contraire qu’il ne le soit pas.

Sans être caricatural, le quotidien essaie de ne pas mélanger les genres, même si les pressions sont parfois lourdes en période de crise, et les échanges entre les différents services sont nombreux et fréquents.

Par exemple il y a quelques années, De Standaard avait suivi la décision collective de la presse belge de refuser systématiquement les publicités politiques du Vlaams block, la formation flamande d’extrême droite.

La Libre Belgique : Très encadrés

Le service publicitaire dépend directement de l’administrateur général et n’a aucune connexion avec la rédaction.

L’article 3 de la charte publicitaire énonce un droit de refus : « L’éditeur étant responsable de journaux d’opinion, il a le droit de suspendre, d’arrêter ou de refuser l’insertion d’annonces sans avoir à motiver sa décision ».

La charte graphique fixe l’encombrement publicitaire de manière précise : globalement pour l’ensemble du journal (pas plus de 50%) mais aussi par page.

Les doubles pages d’ouverture des différentes sections ne comportent jamais de publicités.

Les publicités politiques sont réservées aux partis démocratiques et comportent toujours le label : « La publicité politique n’engage pas la rédaction ».

Des « dossiers rédactionnels » peuvent être commandés directement par la régie publicitaire. Les journalistes doivent alors se présenter au nom de la régie et la mention « Supplément gratuit à La Libre Belgique réalisé par la Régie générale de publicité » est obligatoire. Le logo du journal n’est pas utilisé, la mise en page et les polices de caractère se démarquent du journal. L’édito devient « Avant-propos », l’interview est rebaptisée « Questions -réponses ». La LLB réalise aussi des publi-reportages, en respectant l’obligation légale de les mentionner en tant que tels.

Le Soir : Un code

Un « code de bonne conduite commun » a été formalisé entre tous les services en 2004. Il a pour objet de rendre visible les valeurs du journal sur l’ensemble de sa pagination : humanisme et développement durable. Il est donc impossible d’y trouver, par exemple une publicité pour des mouvements d’extrême droite.

Ce code sanctuarise certains espaces rédactionnels en y interdisant toute publicité : c’est le cas des pages 2 et 3 où sont publiés les éditoriaux et les dessins de presse.

La publicité en « Une » et en dernière page reste très règlementée. En revanche - crise aidant - la publicité en « L » est dorénavant acceptée.

Les propositions « d’emballage » du journal ou de gimmicks sont systématiquement négociées avec la rédaction.

RTBF : Une charte

Une nouvelle charte des valeurs a été rédigée en 2012.

Brésil

A Folha de S. Paulo : Sans contrôle spécifique

A Folha ne pratique aucun contrôle spécifique de l’ajustement entre les valeurs du journal et les publicités publiées.

Cruzeiro do sul : Des règles non écrites mais précises

Rien n’est publié qui puisse porter atteinte aux Droits de l’Homme, y compris dans les messages publicitaires. Sont refusées les publicités porteuses de messages pornographiques, de prostitution cachée ou explicite. Les publicités pour le tabac ou l’alcool sont également refusées.

O Estado de S. Paulo : Autant que possible

Les sercices « publicité » et « rédaction » ne sont pas reliés entre eux, sauf par le biais d’un projet appelé « Crossmedia » qui vise à valoriser les Cahiers spéciaux, en ouvrant leurs colonnes à des publicités spécifiques. Les deux services s’impliquent alors pour trouver des solutions afin que le Cahier réponde aux attentes tant en termes de contenu que d’image institutionnelle.

Jusqu’à peu, le journal ne vendait aucun espace publicitaire en « Une » mais cette règle s’est récemment assouplie.

Rádio CBN : Des liens de bons sens

Les départements sont totalement séparés. Le service commercial respecte la législation, en ne diffusant pas ce qui est interdit par la loi et suit les recommandations du Conseil National d’Autorégulation Publicitaire. Dans tous les autres cas il est fait usage du bon sens. Même séparés, la rédaction et le service commercial entretiennent de bonnes relations. Si un spot commercial diffuse par exemple une fausse information, la rédaction l’en avisera pour que l’erreur soit rectifiée.

TV Cultura : Étanchéité complète

La rédaction n’a aucun lien avec le service commercial qui n’interfère jamais et n’a aucun pouvoir de requêtes ou de sollicitations auprès du département de journalisme.

TV TEM : Respect de la ligne éditoriale

TV GLOBO – et par conséquent TV TEM – respecte un cadre très rigide, y compris en ce qui concerne la publicité. Certaines sont donc refusées parce que le libellé comporte des blasphèmes, des injures, des incitations malveillantes…

Il n’existe aucune relation directe entre la rédaction et le département commercial, si ce n’est par exemple pour vérifier qu’une source est digne de confiance.

Le service commercial n’influence donc en rien le contenu des journaux télévisés de la chaîne.

Il arrive que la chaîne – et le média ne voit aucun problème éthique en cela – crée des séries journalistiques spéciales dont certains peuvent faire l’objet d’un parrainage qui est alors vendu par le département commercial (comme par exemple un spécial anniversaire des 100 ans de la ville soutenu financièrement par la Préfecture, sans que cette dernière n’apparaisse pour autant dans les sujets).

Espagne

El País : Une séparation claire

La publicité est gérée par un département indépendant de la rédaction. Les emplacements publicitaires sont bien séparés des contenus informatifs. Les clients doivent payer un supplément s’ils souhaitent que leur publicité apparaisse en page paire ou impaire ou encore dans la section de leur choix. Ils ne connaissent pas au préalable les contenus informatifs des pages.

Une publicité peut aussi être refusée si son contenu ne « respecte pas les règles générales du journal ».

Par ailleurs, en période électorale, les publicités politiques ne peuvent pas être publiées sur les pages politiques mais éventuellement dans d’autres sections du journal.

La Vanguardia : Une recherche de cohérence

La publicité ne doit pas être en contradiction avec la ligne éditoriale du journal ni attenter à la dignité des personnes, des entreprises ou des institutions. De plus, la séparation entre l’information rédigée par la rédaction et tout ce qui peut être du domaine de la publicité, doit être clairement différenciée.

Rádio Barcelona - Cadena SER : Validation systématique

Le directeur des contenus, comme la fonction l’indique, est responsable de tout ce qui est diffusé sur la chaîne, y compris les publicités ou encore la musique. Le directeur de la publicité l’informe de tout ce qui va être diffusé et lui fait valider toute mise en onde.

En accord avec la ligne éditoriale et les valeurs que portent Radio Barcelona de Cadena Ser, le directeur des contenus interdit l’expression sur les ondes de la « Plateforme Catalane » (parti politique xénophobe d’extrême-droite) et des « charlatans qui prétendent résoudre le futur ».

RNE : Non pertinent

RNE est un service public sans publicité.

TVE : Chaîne sans publicité

France

Europe 1 : Vigilance

La règle est claire : pas de commande de sujets dictée par un partenaire. La réunion du mercredi après-midi entre la direction de l’information et la régie permet, précisément, de faire le point là-dessus.

France 2 : Respect de l’esprit service public

La charte des antennes précise que la rédaction doit être vigilante aux citations de marques qui pourraient être interprétées par le CSA comme de la publicité clandestine.

Il n’y a pas de charte publicitaire propre à la régie de France Télévisions, mais la régie publicitaire peut consulter la direction des programmes pour savoir si un spot paraît compatible ou non avec la mission de service public de France Télévisions.

France 24 : Pas toujours simple

Pas de publicité pour des partis politiques… Et si France 24 accepte les publicités touristiques de pays sous dictature, elle ne se prive pas de faire des reportages sur leur pouvoir autoritaire ou leurs opposants.

La rédaction est très attentive à tout ce qui pourrait passer pour de la publicité cachée. Comme les régates où les sponsors sont affichés sur les voiles…

Sur le site web, les publi-reportages sont clairement identifiés par une maquette différente.

France Inter : Respect du service public

France Inter étant une radio du service public, elle ne peut accepter que certains types de messages publicitaires : institutionnels ou dédiés à des mutuelles ou des banques à capitaux publics. Le cahier des charges est strict. Il est vérifié en permanence. Les auditeurs de France Inter, attachés à cet espace relativement « vierge », sont très vigilants : nombre de leurs courriers adressés au médiateur en témoignent.

La Croix : Tellement peu de publicité…

…pourtant la réponse à cette question semble s’imposer. Le peu d’annonceurs intéressés par La Croix ne le sont pas par hasard. Le lien cohérent entre les valeurs rédactionnelles et la publicité sont évidents.

La Dépêche du Midi : Pas de règles formelles mais…

Les publicités politiques en contradiction avec l’esprit du journal sont systématiquement refusées. (Exemple : la promotion pour un parti d’extrême-droite ne pourrait pas être publiée).

La Montagne : Vigilance et contrôle

Les publicités politiques et institutionnelles sont soumises à la direction de la rédaction avant d’être, éventuellement, publiées. Sachant que seul le principe de « donner la parole à tout le monde » prévaut. Par ailleurs, même s’il arrive de « donner un petit coup de main » à un annonceur (par le biais d’une citation ou d’une interview, dans le cadre d’une enquête plus générale), le contenu rédactionnel ne peut être conditionné par l’achat en amont d’un espace publicitaire, l’information étant toujours privilégiée. A noter que la Montagne a décidé d’encadrer de façon stricte l’encombrement publicitaire de ses pages (la Une, la page 2 qui n’en a pas, et la 3), depuis son changement de formule, en janvier 2008.

La Nouvelle République : Des règles claires

Le contenu d’une page n’est jamais modifié à cause d’une publicité. A aucun moment, la position de la direction de la publication n’a varié à ce sujet. Quant à l’encombrement publicitaire, les emplacements ont été clairement définis dans la charte graphique, page par page : il n’y a pas de publicité en page 2 et la publicité en « Une » est très réglementée.

La Provence : Pas de règle formelle mais…

… certaines publicités peuvent être refusées.

La Voix du Nord : L’adéquation aux valeurs avant tout

Dans la mesure où une publicité ne correspond pas aux valeurs du journal, elle peut être refusée. Par exemple : une campagne de publicité politique sur la suppression de fonctionnaires n’a pas été acceptée car elle ne présentait pas d’argumentaire.

Le Figaro : Pas formalisé mais…

Une publicité peut être refusée si elle comporte des images choquantes.

De même, une publicité trop déguisée en article journalistique ne sera pas publiée.

Le Monde : Pas de règle formelle

Certaines publicités peuvent cependant être refusées.

Le Parisien/Aujourd’hui en France : Conformité

Le directeur de la rédaction a un droit de regard sur la publicité qui doit être conforme aux valeurs du titre.

Le Progrès : Pas de règle formelle mais…

Le Progrès n’a pas de règle formelle sur ce sujet mais certaines publicités politiques peuvent être refusées quand elles ne correspondent pas à « l’esprit » du journal, sans que celui-ci ne soit formalisé nulle part.

Libération : Pas de règles formelles et peu de litige

Publicités politiques : quelques unes ont été refusées parce qu’elles n’étaient pas en adéquation avec l’esprit du quotidien.

Publicités commerciales : certaines peuvent poser problème notamment dans les suppléments. Le journal évitera la juxtaposition d’un article critique sur les pratiques d’une entreprise avec une publicité de cette même entreprise. L’article paraîtra alors sur une autre page du quotidien. C’est régulièrement le cas sur la thématique écologique où le greenwashing de certains annonceurs entre en contradiction avec l’esprit général du supplément et la problématique rédactionnelle.

Ouest France : Les valeurs du média avant tout

Une des spécificités de Ouest-France est que les principes énoncés dans ses chartes sont également appliqués à la publicité. Il est donc facile de vérifier les compatibilités et de refuser éventuellement une publicité sur des critères transparents et connus de tous.

RTL : Vigilance et contrôle

RTL est une radio privée, qui vit de revenus publicitaires (même si, par ailleurs, elle est tenue également aux obligations du service public, par exemple en termes de temps de parole des candidats pendant des élections). Le volume publicitaire, déterminé par la direction de l’entreprise, est contrôlé. Il est arrivé que la SDJ intervienne pour signaler un flou « troublant » entre une chronique et une publicité. Un « jingle » a donc été inséré entre les deux pour marquer la frontière entre le terrain de l’annonceur et celui de la rédaction (donc de l’information). Quoi qu’il en soit, la ligne éditoriale de RTL étant de « sortir de l’info », ce principe s’applique aux sujets économiques comme aux autres, quand bien même ce sujet concernerait un annonceur et serait polémique.

Sud Ouest : Un cadre précis

La charte du journal précise la place accordée à la publicité. Ainsi les pages 2, 3, 4 et les pages centrales de l’édition du dimanche ne peuvent pas comporter de publicité. Sur la première page du cahier départemental, la publicité ne peut pas dépasser la taille d’un bandeau en bas de page.

Les règles sont très précises mais une dérogation spéciale peut être accordée par la direction de la publication.

Sud Radio : Pas de pression

Sud Radio est une radio privée : elle a besoin de la publicité pour vivre et est toujours en quête d’espaces publicitaires supplémentaires. Mais la rédaction s’est toujours attachée à conserver une indépendance vis à vis de la régie publicitaire. De fait, il n’y a jamais eu de « pressions » de la régie ou de la direction sur la rédaction pour traiter des sujets en fonction de contrats publicitaires.

TF1 : Aucun mais

Il arrive que TF1 soit plus restrictive que la loi ne l’exige en termes d’horaire de programmation pour des images pouvant choquer. Par exemple : une publicité pour le DVD d’un film d’horreur a été programmée après 22h30 alors que le CSA avait demandé 20h30.

Irlande

The Irish Times : Aucun

Les pages dédiées à l’éditorial, rédigées par les journalistes, sont parfaitement indépendantes des espaces publicitaires. La frontière entre les deux est tout à fait imperméable.

Pologne

Polskie Radio, kanal 3 : La loi et le marché

Il est rare qu’une publicité soit refusée et certainement pas pour des motifs idéologiques ou de valeurs. Les refus sont motivés par le respect des interdictions imposées par la loi, comme celle de promouvoir l’alcool par exemple.

D’autre part les créneaux sont très fluctuants et les émissions d’information de grande audience peuvent devenir des supports publicitaires très recherchés (jusqu’à 8 minutes par 50 minutes d’antenne).

Royaume-Uni

BBC : Pas de publicité

La seule chaîne du Groupe BBC qui a le droit de diffuser de la publicité est BBC Worldwide, car elle n’est pas financée par la redevance.

Mais selon sa tradition d’engagement écrit, le groupe a élaboré un guide pour la publicité et les parrainages, notamment pour ses services en ligne. La dernière version date de 2013 : www.bbcworldwide.com/advertising.aspx.

The Guardian : C’est aussi l’affaire de la rédaction

Le rédacteur en chef est également responsable du contenu publicitaire. Si une publicité ne lui convient pas, il peut demander à ce qu’elle soit retirée du journal ou du site.

Suisse

La Liberté : Pas de règle formelle mais…

La rédaction veille tout particulièrement à ne pas laisser l’espace qui lui est dévolu être parasité par de la publicité intrusive.

La Liberté ne possède pas de régie interne et traite avec le leader suisse de l’espace publicitaire. Le contrat de base stipule que le journal peut refuser des encarts qu’il estime entrer en contradiction avec ses valeurs. (Cette information est valable jusqu’au 31 décembre 2012, voir « Régie publicitaire » dans la fiche technique du média).

Les publicités présentant un caractère « érotique » sont écartées de façon systématique, bien qu’elles soient très rémunératrices.

Dans le même esprit, une publicité pour « l’Union démocrate du centre » a été refusée pour « relent raciste ».

Le journal surveille aussi l’éthique de ses petites annonces, en exigeant par exemple une transparence totale sur les coûts des services proposés par voyants et médiums en tous genres.

Le Temps : Des règles claires

En matière commerciale, toute publicité présentant un caractère sexuel (site de rencontres, salon de massage…) est refusée.

D’autre part l’identification claire de l’annonceur est un préalable à toute publication.

En matière politique, le journal est très ouvert, les refus sont extrêmement rares mais le journal se réserve une marge de manœuvre dans le traitement de ces publicités (encadré qui explique les raisons de la publication, mise en perspective par un article critique…).

RTS : Aucun

Des directives internes à la RTS garantissent la liberté rédactionnelle.

Il est ainsi possible de suspendre la collaboration avec un sponsor pour éviter un conflit d’intérêt ponctuel généré par le choix d’un sujet.

Le type de publicité diffusable est défini par la Concession de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) puis par l’Office Fédéral de la Communication (OFCOM).