4.1. – Quelle gestion des voyages de presse et des journalistes « embarqués » ?

Le « voyage de presse » est un déplacement et/ou un séjour offert, tout ou en partie, par une entreprise, une ONG, une institution publique… à un journaliste pour qu’il rédige - ou pas - un article.

Le recours à cette pratique permet au média de faire de substantielles économies mais place le professionnel « invité » dans une position de dépendance par rapport au commanditaire.

Certains quotidiens bannissent les voyages de presse, d’autres informent leurs lecteurs que l’article a été rédigé dans ce cadre précis, certains n’ont pas de politique officielle sur cette question, d’autres encore utilisent les voyages de presse en affirmant garantir leur liberté d’écriture…

Autre genre d’invitation, celle d’armée régulière qui emmène des journalistes sur les terrains d’action. Entre protection et censure, influence et proximité, comment ces relations entre les professionnels de la communication militaire et professionnels de l’information s’équilibrent-elles ?

Réponses complètes

Allemagne

Berliner Zeitung : Autorisés mais pas annoncés

En ce qui concerne les journalistes embarqués avec l’armée, les conditions de production de l’information seront normalement identifiables dans le contenu même de l’article.

ZDF : Conditions définies dans la charte…

Belgique

De Standaard : Autorisés et annoncés

De Standaard couvre peu les conflits armés. C’est un correspondant basé au Liban qui s’est chargé de la couverture en Syrie ou en l’Irak et le journal fait le nécessaire pour assurer sa sécurité. D’autre part un journaliste embarqué avec une armée n’est pas du tout dans la même situation qu’un journaliste qui bénéficie du soutien d’une société ou d’une organisation quelconque pour aller faire un reportage.

Le journal anversois n’accepte ni ne refuse par principe ce type d’invitation, mais le médiateur demande toujours à ce que le lecteur soit informé de cet arrangement… sans cependant être systématiquement suivi.

De Standaard a des moyens limités pour les déplacements, il peut accepter qu’un billet d’avion soit offert à un membre de sa rédaction – journaliste scientifique par exemple - pour se rendre à un important congrès au bout du monde. L’indépendance du journaliste n’en sera pas entaché pour autant puisqu’il assiste à un événement public et aura l’occasion d’y faire des rencontres et des interviews…

Encore faut-il faire la différence entre les sujets traités et le type de soutien apporté au journal. Le plus souvent les critères d’indépendance et de totale liberté de ton sont exigés pour les rubriques “économie”, “politique”, “science” ou “étranger”. Ils ne se situent souvent pas au même niveau pour les rubriques “sports” ou “tourisme”. Les échanges dans la rédaction et avec le médiateur sont réguliers et parfois compliqués.

La Libre Belgique : Autorisés mais pas annoncés

Les voyages de presse sont acceptés par un chef de service. Ils n’induisent pas automatiquement un article et ne seront pas mentionnés en tant que tels.

Des journalistes ont été « embarqués » avec l’armée belge en Afghanistan. Le contrat contenait des clauses éditoriales comme l’interdiction de donner des détails spécifiques sur le type d’armement utilisé ou la localisation d’une unité.

Le Soir : Autorisés et non annoncés

RTBF : Autorisés mais non annoncés

Des journalistes « embarqués » sont partis avec l’armée belge en Afghanistan ou avec l’armée américaine en Irak. Les modifications exigées par l’armée ont été annoncées dans le reportage.

Brésil

A Folha de S. Paulo : Acceptés et annoncés

A Folha de S. Paulo n’accepte que les invitations qui apportent une réelle matière journalistique et indique en bas de l’article le nom de l’entreprise qui a financé le voyage du journaliste.

Cruzeiro do sul : Rares mais annoncés

Les invitations sont peu fréquentes. Quand il a lieu, le voyage de presse est toujours mentionné dans l’article.

O Estado de S. Paulo : Selon un seul critère

Depuis plusieurs années les invitations d’entreprises privées ne sont plus acceptées ; seules le sont celles de gouvernements et d’institutions uniquement quand le voyage revêt un réel intérêt journalistique.

Le lecteur est alors toujours informé quand le journaliste voyage sur invitation.

Rádio CBN : Autorisés et annoncés

Le premier critère est l’intérêt journalistique. Les voyages de presse sont acceptés lorsque l’information vaut la peine d’être traitée mais que sa couverture n’a pas pu être programmée pour raison budgétaire. Si le journaliste a bénéficié d’une invitation, l’auditeur en est toujours informé.

TV Cultura : Rares et non annoncés

La rédaction revendique toutefois une complète indépendance, même si le voyage est organisé.

TV TEM : Rares voire inexistants

La participation de journalistes de TV Tem à des voyages de presse reste très rare.

Ils ne sont jamais « embarqués », la chaîne ne couvre pas les zones de guerres ou de conflits, trop éloignés de la réalité régionale.

Espagne

El País : Rares mais annoncés

Les prises en charge de voyages ou de séjours ne sont pas des pratiques courantes et doivent toujours faire l’objet d’une autorisation de la direction. Elles sont alors mentionnées dans l’article.

La Vanguardia : Autorisés mais pas annoncés

Les statuts de la rédaction stipulent que les voyages de presse sont autorisés de “façon restrictive”. Un article écrit dans ces conditions ne mentionne pas le voyage de presse.

Rádio Barcelona - Cadena SER : Jamais

Aucun journaliste de Cadena Ser, Radio Barcelona ne peut accepter un voyage de presse. Le principe est interdit.

Radio Barcelona en tant que radio régionale ne couvre pas les conflits à l’étranger, c’est le siège de Cadena Ser à Madrid qui traite ces sujets d’information et donc la question des « journalistes embarqués ».

RNE : Annoncés quand ils sont autorisés

Les seuls voyages de presse acceptés par la RNE sont les déplacements pour accompagner les politiques. Tout autre voyage offert ou financé par une quelconque entité (entreprises, artistes, fondations… peu importe) et quel qu’en soit le sujet, est interdit.

En revanche les journalistes sont autorisés à suivre une armée ou toute escorte mise à leur disposition en zone de conflits.

Dans ces deux cas, les auditeurs sont toujours informés des conditions de production de l’information diffusée.

TVE : Rares mais annoncés

Les voyages de ce type sont très rares. TVE récuse systématiquement toute invitation pour des voyages exclusivement commerciaux de promotion d’un produit déterminé. S’il s’agit de voyages officiels du personnel de l’administration ou du gouvernement à l’invitation de gouvernements étrangers, TVE accepte en s’engageant à donner l’information des conditions du voyage.

France

Europe 1 : Voyages limités

La direction de l’information, qui veut limiter ce type de voyages, essaie d’être vigilante et demande à chacun des journalistes de lui soumettre les propositions avant de les accepter (ou pas).

France 2 : Autorisés et annoncés

Les voyages de presse sont interdits sauf en cas de difficulté d’accès au lieu du reportage (plate-forme offshore, voyage expérimental du TGV, zone de guerre..). Ils sont normalement annoncés à l’antenne.

Les voyages officiels sont facturés.

France 24 : Acceptés mais non annoncés

France 24 refuse de couvrir - contre rémunération - le voyage d’un président étranger.

La rédaction s’estime très attentive à l’identité et au statut des personnes qui proposent d’accueillir des journalistes

France Inter : Exceptionnels et annoncés

Les seuls voyages de presse autorisés sont ceux proposés par des organisations non marchandes, comme les ONG. Ils sont annoncés.

La Croix : Le plus possible sur les deniers du journal

Les voyages de presse ne sont pas formellement interdits mais demeurent peu utilisés. Le journal - très attaché à l’international - tente de partir le plus souvent possible en partageant les frais, pour ne pas complètement dépendre d’un donateur, fut-il humanitaire.

Régulièrement ressurgit le débat sur le signalement ou non dans les articles des conditions financières dans lesquelles un voyage a été effectué.

La Dépêche du Midi : Autorisés et non signalés

Les voyages de presse sont autorisés et non signalés comme tels dans les articles. Ils sont aussi de moins en moins nombreux.

La Montagne : Souple et ferme à la fois

Les voyages de presse sont acceptés si le journaliste reste libre de choisir l’angle de son papier, et si la relecture du papier n’est pas imposée par la puissance invitante. Un voyage proposé par l’Office de tourisme tunisien a pu, ainsi, déboucher sur un article relatant la désertification des lieux touristiques sur place. Article qui a été publié non pas en pages « Magazine », mais « Informations générales ».

La Nouvelle République : Autorisés et non annoncés

Seuls deux types de voyage de presse sont acceptés. D’abord ceux liés à l’actualité d’une grande entreprise (l’industrie de la Défense est très présente dans la région Centre). Organisés au départ pour récapituler un certain nombre de projets, ces voyages de presse peuvent aussi fourmiller de moments privilégiés pour recueillir des informations exclusives.

L’autre possibilité, ce sont les voyages de presse à vocation touristique. Là encore, la Nouvelle République peut y répondre de manière favorable.

Mais dans le premier comme dans le second cas, aucune contrepartie en termes rédactionnels n’est acceptée.

La Provence : Autorisés et non signalés

La rédaction centralise les propositions de voyage de presse, prend la décision de les accepter ou non et décide de leur répartition.

La Voix du Nord : Autorisés et non signalés

Le Figaro : Autorisés et non signalés

Le Monde : En fonction des services

Un comité de rédaction a été organisé sur la question des voyages de presse. Il n’existe pas de règles formelles. Les pratiques varient en fonction des services. Si le service politique les refuse tous, ce n’est pas le cas des autres. La rubrique « tourisme » utilise des encadrés pour expliquer comment sont réalisés les articles.

Tout journaliste peut refuser de participer à un voyage de presse, sans avoir à s’en justifier. La participation à un voyage de presse ne saurait valoir engagement du journaliste ou de sa rédaction à publier un article.

Et si un papier est rédigé, il ne sera jamais agrémenté de la mention « envoyé spécial ».

Le Parisien/Aujourd’hui en France : Indépendance

Une seule règle : le journaliste doit conserver son indépendance en matière de narration des faits.

Le Progrès : Autorisés et non signalés

Libération : Selon la rubrique

La charte de Libération stipule que les voyages de presse ne sont pas autorisés.

Néanmoins l’économie de certains secteurs du quotidien oblige à plus de souplesse, c’est notamment le cas pour les rubriques voyage et tourisme.

Au chef de service de débattre avec la rédaction en chef et d’appliquer ses propres règles déontologiques : l’article ne mentionnera aucun nom et ne fera aucune publicité. Les entreprises invitantes n’exercent d’ailleurs aucune pression particulière car elles connaissent les principes du journal et se contentent de voir leurs activités évoquées dans un article.

Ouest France : Peu fréquents et pas annoncés

Les offres de voyages de presse sont peu fréquentes. Quand le cas se présente, la rédaction en chef prend la décision de les accepter ou non.

Peut être acceptée la gratuité des voyages offerts par des agences de tourisme ou par les organisateurs d’événements sportifs particuliers tels que la voile ou l’automobile.

Peuvent également être acceptés des voyages pour une manifestation faisant l’objet d’une contribution du journal.

Il n’est pas précisé dans l’article qu’il s’agit d’un voyage de presse.

RTL : Rares et non annoncés

Par principe, aucun journaliste ne part en voyage de presse sans le feu vert de la direction de la rédaction. Dans les faits, ces voyages de presse sont de plus en plus rares, la rédaction les finançant dans leur quasi-totalité, en prenant soin de rechercher - sauf urgence extrême - des billets à des prix compétitifs afin de multiplier les reportages. L’autofinancement de ces déplacements est motivé par le souci d’éviter tout conflit d’intérêt. Ainsi, pour les congrès médicaux, où les frais sont souvent pris en charge par des laboratoires pharmaceutiques, c’est RTL qui paye le prix du billet et l’hébergement du journaliste dépêché sur place.

Sud Ouest : Acceptés et pas toujours annoncés

Aucun voyage de presse n’induit systématiquement la rédaction d’un article.

Pour le supplément tourisme, les journalistes décident des sujets à traiter et partent sur leurs jours de congé.

Les voyages de presse ne sont pas annoncés dans l’article.

Les frais des voyages de presse « politiques » sont pris en charge par le journal.

Les voyages organisés par l’armée française sont acceptés et annoncés en tant que tels dans l’article.

Sud Radio : Rares et annoncés

Essentiellement pour des questions de moyens et de temps, les voyages de presse sont tout à fait exceptionnels. Il ne s’agit cependant pas d’un veto absolu : s’il offre un intérêt éditorial réel (un voyage à l’étranger avec le nouveau président de la République, par exemple), il peut être accepté. Et sera annoncé comme tel à l’antenne.

TF1 : Acceptés

La nouvelle direction de l’information n’accepte plus aucun voyage de presse à l’exception des congrès médicaux et des événements politiques (en remboursant les frais de déplacement).

TF1 envoie régulièrement des journalistes « embarqués » avec les armées française et américaine sans toutefois se couper d’autres sources. A l’occasion des essais nucléaires dans le pacifique par exemple, 3 journalistes se sont partagés le travail un avec les militaires, un avec les militants de Greenpeace et un à Papeete.

D’autre part, TF1 essaie toujours de réaliser des sujets périphériques, en-dehors de l’armée.

La pratique de « l’embarquement » est annoncée à la diffusion du reportage.

Irlande

The Irish Times : Rares et annoncées

Le recours aux voyages de presse reste peu développé. Les décisions sont toujours prises de façon collégiale et le contexte dans lequel l’article a été écrit est systématiquement annoncé aux lecteurs.

Pologne

Polskie Radio, kanal 3 : Des financements extérieurs

Partir sur le terrain nécessite toujours de trouver un financement extérieur ; et au final personne ne se soucie réellement de ce qui est « donné » en échange, en matière d’adaptation du contenu par exemple.

La rédaction utilise très peu de fonds propres qui font toujours l’objet d’âpres discussions. Pour couvrir les événements de juillet 2014 en Israël et Palestine par exemple, les journalistes ont dû attendre la décision pendant une semaine.

Hors « actualité », le Ministère des Affaires étrangères peut faciliter certains voyages mais dans les conditions qu’il définit lui-même, généralement pour traiter de ses actions de coopération. Une fois sur place, c’est aux journalistes de profiter de leur séjour pour réaliser quelques sujets supplémentaires.

Royaume-Uni

BBC : Acceptés mais financés

Les voyages de presse sont acceptés à condition qu’ils soient facturés à la BBC.

Le principe du journaliste « embarqué » est accepté s’il n’existe aucune autre possibilité d’accéder à une zone de guerre. Des journalistes sont ainsi partis en Afghanistan et en Irak, avec l’armée britannique, l’armée américaine et avec les talibans. Les conditions de tournage sont alors clairement annoncées à la diffusion du reportage.

The Guardian : Acceptés et annoncés

En 2010, le Guardian a renforcé les règles pour les voyages de presse qui doivent impérativement être annoncés dans l’article.

Le quotidien rembourse les frais occasionnés par un voyage de presse organisé par le gouvernement.

Les reportages « embarqués » étaient depuis longtemps acceptés et systématiquement annoncés.

Suisse

La Liberté : Tolérés et annoncés

Une règle informelle prévoit que l’article précise qu’il a été rédigé au cours ou après un voyage de presse.

Le Temps : Tolérés et annoncés

Les voyages de presse sont tolérés et doivent recevoir une autorisation claire de la direction de la rédaction.

Il en est automatiquement fait mention dans l’article.

RTS : Acceptés avec restrictions et pas annoncés

Les voyages de presse ne sont acceptés que s’il n’existe aucun autre moyen d’accéder à l’information.

En cas de voyage politique utilisant l’avion d’un ministre, la RTS règle les frais sur facture publique.

Invitée par une entreprise suisse, la RTS calcule le coût du voyage et verse la somme correspondante à une œuvre caritative. Les voyages de presse ne sont pas annoncés comme tels dans les sujets, à la différence des professionnels « embarqués ».